Juan del Encina

Disque Juan del Encina de Berry Hayward et Claire Caillard

Juan del Encina (1469-1529)

 

31 mai 1993

 

Pour en savoir davantage consulter, par exemple, Marc Honnegger, Dictionnaire de la Musique (Bordas), pour y trouver les détails d’une vie et une succincte bibliographie, car faut-il souligner que la vie de Encina ne raconte aucunement sa musique, son théâtre et sa poésie.

 

Quelle aubaine l’absence d’informations biographiques concernant Homère et même Shakespeare : qui veut réfléchir à l’œuvre doit la suivre pas-à-pas sans se référer aux contingences d’un récit de vie qui s’avère souvent encombrant pour la compréhension car le récit et l’œuvre s’articulent rarement de manière harmonieuse. Et c’est sans doute là où celui-ci prend sens, du moment où il révèle les paradoxes et les clivages accompagnant une gestation créatrice jamais facile.

 

À notre époque le Deuxième Essai d’Autobiographie de Pasternak illustre de manière poignante cet acheminement de la vie jusqu’à l’œuvre : pouvons-nous aussi songer aux souffrances de Baudelaire qui cherchait compréhension et soulagement dans la description de soi. Mais bien sûr dans les deux cas, il s’agit d’autobiographie, c’en est l’essentiel.

 

La musicologie classique s’entrave souvent par une lecture « du dehors ». Ce que nous voulons savoir : comment Encina jouait, chantait, disait ses poèmes, mettait en scène ses églogues. C’est là où Antoine Geoffroy-Dechaume va droit au but : il s’agit de délimiter nos connaissances pour une interprétation, élaguer notre savoir de totu ce qui met la réalisation vivante au deuxième plan. Et j’ajouterai à cela, à titre personnel, qu’une interprétation est une incandescence, comme le corail carnivore qui dévore la couleur pour s’illuminer soi-même, comme le rêve qui est récit et interprétation incontrôlés et irrationnels, mais toujours vérité de soi.

 

Il souffle dans l’œuvre de Juan del Encina un vent de sirocco « un viento africano ». Elle pose, comme tout l’art espagnol du Moyen-Âge et de la Renaissance, l’ontologie du rapport à Autrui : à quoi rime « los ordres henchidos de la sangre de nuèstro suelo » des exclusions brutales de civilisations nourricières ? Devant un catholicisme inquisitorial où et qui suis-je ? À une cour royale mystérieuse et sévère puis-je oublier un peuple laborieux serré entre ciel et terre ?

 

Juan del Encina (1469-1529) : Extracts from my del Encina Notebooks : the biographical facts to be found in Chase, The Music of Spain (Dover). Beyond this, Juan’s poetry, his music, his theatre. This is what counts now. It is still very much alive: withness group’s enthusiasm and cooperation in preparing record.

 

Musicology, cultral history: my daily bread. Still can’t replace « humdrum » wordaday practice and rehearsal, stimulating unconscious intuition. Nor incessant listening to Spanish folk music or flamenco: Pepe de la Matrona, Almaden, La Niña de los Peines, Carmen Amaya…

 

Juan’s music-poetry: repetitive strophic forms and strict homophony, characteristics of traditional oral arts, lending great freedom in terms of rhythm & improvisation. Wonderful paradox of repetitive musical structures (cf. blues & jazz): formal constraints breed urge to « break away », to « cut loose » without playing « out of bounds ».

 

In Juan’s music: terse rhythm of folk dance & infinite space for improvisation in slow « romance » and love song.

 

Musical notation turns musician away from active folk forms, the dance, conviviality and difficulties of improvised music. Its essence: solitude.

 

Musical notation: sole access to ancient heritage. Beside, thought/feelings strive naturally towards notations (cf. Wilfred Bion’s Grid). Otherwise why record? Notation preserves sacred memory from « dawn of oblivion », « l’immense et compliqué palimpseste de la mémoire »: Written music was once magic.

 

Rhythm in Juan’s music: feet of the Spanish dancer. Jean-Louis understands this: not accompaniment in the usual sense, but choreography on his drums. Rural dance ritual. Procession/Mime. See Cid Corman on rhythm as song in Word for Word: the rhythm of language heightened into melody, emotion, not the metronome beat. Feet, hands, fingers: beat, clap, snap. Dance: courship without words.

 

Juan’s voices: peasants musicians, courtiers, princes, Arabs. Always sympathy & commiseration. Humour. Trivial words rendered luminous in the music, always moving, literally, betraying empathy and wonder even for the « enemy », the Arab. Musical « divisions »: calligraphy, mosaic.

 

The Orient, Jewish and Muslim: everpresent. Trauma of Reconquista in the turmoil of the music. In requiem piece: Triste España, the royalty of all children; the child’s death engenders universal suffering and confusion and threatens belief. The fall of Granada: Una Sañosa Porfia strife and destruction seen through the Sarrasin’s eyes, the shredded fabric of civilisations once interwoven. Ortega y Gasset in the Revolt of the Masses: « In its origins, The State consists of the mixture of races and tongues. It is the superation of all natural society. It is cross-bred and multilingual. » (Norton).

 

In the Cancionera Juan communicates this deep reality in the music and the courtly-lyrical textes, in his « village » pieces: « España, Eslabón entre la Cristianidad y el Islam », title of Menéndez Pidal’s famous book.

 

Les interprètes :

 

Marie-Françoise Bloch : viole de gambe

Nathalie Raguis : flûtes-à-bec

Claire Caillard-Hayward : orgue, clavecin

David Bellugi : flûtes-à-bec

François Dunesme : percussions

Jean-Louis Méchali : percussions

Gilles Andrieux : luth

Berry Hayward : chalumeaux, flûtes-à-bec, direction

Groupe Vocal Claire Caillard-Hayward