Trecento : Musique italienne du XIVe siècle
Trecento : Musique italienne du XIVe siècle
Le XIVe siècle a été une période de grands bouleversements - politiques, théologiques et sociaux - marqués par la violence, la guerre, la famine et la peste. C’est l’époque du déclin médiéval.
Cependant, paradoxe étrange : ce contexte menaçant n’a été ni écrasant ni stérilisant pour l’esprit créateur. Bien au contraire. Il y eut les philosophes Guillaume d’Ockham et Duns Scots, qui ont poursuivi leurs idées avec une cohérence remarquable, créant ainsi des systèmes philosophiques d’une puissance et d’une complexité incroyables, qui ont modifié l’environnement intellectuel de leur temps et des siècles postérieurs. En Italie, à l’époque du Trecento, les travaux de poètes et d’écrivains comme Dante, Pétrarque, et Boccace ainsi que la musique de Landini constituent des contributions fondamentales à ce nouvel esprit européen que l’on appellera plus tard humanisme.
Les tensions du XIVe siècle ont nourri une expression artistique à la fois personnelle et originale. Les bouleversements de l’époque ont incité poètes, écrivains et compositeurs à aller jusqu’aux limites de l’humain, et leurs œuvres, aussi belles et équilibrées soient-elles, n’en contiennent pas moins une certaine violence. Ce sens de l’humain a permis un approfondissement dans l’appréhension de la présence divine, ce qui a renforcé les liens existant entre l’art et l’expérience religieuse.
Même Boccace, qui est le plus « profane » de ces écrivains, a comparé les Écritures à la poésie. Selon lui, elles utilisent des figures de style poétiques - métaphores, paraboles, images - et leur sens profond est constamment dissimulé au sein d’un texte littéral. Les Écritures sont une « fiction poétique » ; Boccace ajoute que ceux qui condamnent la poésie classique comme étant contraire à la religion ne comprennent pas que la poésie est connaissance, intelligence et vérité. Ainsi, dit-il, la poésie est née avec Moïse et a été exploitée par Jésus dans son expression des Évangiles. Les poètes classiques ont menti, bien sûr, mais il n’étaient pas conscients de leur mensonge et n’avaient par ailleurs nullement l’intention de mentir. Etait-ce leur faute s’ils n’avaient pas reçu la révélation du Christ ? La réponse de Boccace à la peste, décrite de façon si émouvante dans sont premier jour du Décameron, a été d’écrire un livre qui explore l’amour humain, son aspect temporel représenté comme une donnée à la fois instinctuelle et spirituelle de la vie. Sa réponse au désespoir du XIVe siècle a été de percevoir les ressources de l’amour et de l’art comme un moyen de trouver soulagement et sérénité. Chacun à sa façon, Dante et Pétrarque explorent ce sujet et le traitent comme un moyen de trouver le salut et la compréhension divine.
Ces expressions artistiques exaltées n'excluaient pas les œuvres d’un écrivain comme Franco Sacchetti dont la célébration truculente de la nourriture et de l’acte de manger constituaient un remède plus quotidien et populaire au désespoir et au remords.
De toute manière, la musique ne reflète certainement pas le désespoir : ce qui domine, c’est la danse et la polyphonie qui stimule l’amplification des thèmes musicaux par une improvisation ornementale très riche. Mais la puissance et l’énergie perceptibles dans ces danses traduisent la façon étrange dont l’art médiéval véhicule une certaine folie qui est l’expression de la violence de l’époque.
Ces danses - aux titres dantesques - portent l’empreinte d’une sorte de rituel perdu et incorporent, par le biais de leur rythme intense, le sentiment d’une redécouverte métaphysique. leur forme très élaborée souligne leur gravité, leur vitalité, leur enracinement dans une tradition populaire ancienne. Nous pouvons comparer leurs cadences énergiques avec les cadences du Paradis de Dante dans lequel St-Thomas, les anges, Dante et Béatrice dansent au milieu d’un tumulte de lumière et de mouvement. Ces danses reflètent l’idée orientale ancienne selon laquelle les vrais dieux dansent et que le démiurge doit danser. La danse est le reflet de la divinité.
31 décembre 1990
Claire Antonini : luth médiéval
Valérie Bienvenu : chalumeau
Isabelle Caillard : vièle à archet
Claire Caillard-Hayward : orgue
Bruno Caillat : percussions
Philippe Defurne : sacqueboute
Chris Hayward : percussions, flûtes-à-bec, flûtes traversières
Berry Hayward : chalumeaux, flûtes-à-bec, direction
Françoise Johannel : harpes
Voix solistes : Agnès Brosset (mezzo-soprano), Mireille Patrois (soprano)
Groupe Vocal Claire Caillard-Hayward
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